Les spécialistes du marketing et le secteur du marketing digital traversent une période de forte incertitude. Entre l’entrée en vigueur du RGPD et d’autres réglementations axées sur la confidentialité – souvent en évolution –, les obstacles à l’application du règlement e-Privacy dans l’UE, le manque de clarté sur les pratiques adtech, et les débats sans fin autour de la disparition ou non des cookies tiers, les questions sont plus nombreuses que les réponses. Le principal enjeu pour les équipes marketing reste donc de savoir s’il existe un point d’équilibre pour concilier personnalisation et vie privée, consentement et conformité.
Plutôt que d’aborder toute l’Europe ou le monde, penchons-nous sur le paysage du marketing digital dans le plus grand marché publicitaire d’Europe : le Royaume-Uni. Le cabinet de conseil PWC estime que les dépenses marketing au Royaume-Uni atteindront environ 44 milliards de livres sterling d’ici 2028, ce qui en fait un marché qui a cruellement besoin de clarté réglementaire… qui fait pourtant défaut. Et si un marché de cette envergure peine à réguler et à gérer le consentement et la gestion des cookies, il est certain que d’autres marchés souffrent également du manque de directives.
Les organisations qui souhaitent mener des campagnes de marketing digital de façon responsable et éthique, tout en respectant la réglementation, doivent accomplir un véritable exercice d’équilibriste pour trouver le juste milieu entre personnalisation et confidentialité.
Des enquêtes et études répétées démontrent que les consommateurs souhaitent une personnalisation contextuelle, mais pas intrusive. Jusqu’à 79 % des consommateurs déclarent avoir davantage confiance dans les marques à qui ils confient leurs données personnelles lorsque l’utilisation qui en sera faite est transparente. Cependant, de nombreuses entreprises peinent à trouver cet équilibre subtil et manquent de transparence sur les données récoltées et leurs finalités.
Alors que la protection de la vie privée devient une préoccupation majeure pour les consommateurs, l’idée d’une personnalisation centrée sur la confidentialité représente un avantage concurrentiel pour les marques qui savent s’appuyer sur le consentement – en donnant le contrôle des données aux utilisateurs – et assurer la conformité. Proposer à la fois des données anonymisées et des options de consentement claires permet de renforcer la confiance des consommateurs et d’établir les bases de mesures respectueuses de la vie privée, qui protègent à la fois l’utilisateur et la marque.
Le marketing digital s’est développé grâce à la puissance transformatrice de l’analyse de données… la capacité des entreprises à collecter et analyser un éventail quasi illimité d’informations sur les utilisateurs. Ces données n’apportaient pas seulement des informations précieuses, elles ont aussi permis un ciblage extrêmement précis et parfois la revente de ces données à des tiers.
Naturellement, nous avons quitté ce « far west » de l’achat et de la vente de données pour évoluer dans un environnement non seulement plus avancé sur le plan technologique, mais aussi où les individus exigent, et où les régulateurs imposent, l’application des principes de protection des données à toute collecte et utilisation d’information. Dans ce paysage de données de plus en plus encadré, les marketeurs font face à plusieurs enjeux pour préserver la confidentialité tout en cherchant à personnaliser l’expérience :
Prévenir la collecte excessive de données, qui accroît à la fois les risques et l’exposition, au détriment de la lettre et de l’esprit des lois sur la protection des données
Rendre l’utilisation des données et leurs objectifs aussi transparents que possible
Obtenir un consentement explicite non seulement pour la collecte et l’utilisation des données utilisateurs mais aussi pour éviter la diffusion non autorisée à des tiers
Assurer la gestion du consentement : collecter le consentement ne suffit pas – il faut aussi pouvoir le prouver et être capable de fournir un historique des consentements et des données collectées. Cela va bien au-delà d’une simple case à cocher.
Mettre l'accent sur la sécurité, car les fuites de données deviennent plus fréquentes et destructrices (plus la masse de données est importante, plus les conséquences sont graves)
Si le marketing digital regroupe de nombreux paramètres, les cookies sont en quelque sorte la porte d’entrée, là où commence le consentement. Il ressort que, bien que la plupart des entreprises respectent l’obligation d’afficher des bandeaux de cookies et des options de consentement pour l’acceptation ou le refus des cookies, cela reste trop souvent superficiel. Qu’il s’agisse de cookies mal configurés, de préférences de consentement mal enregistrées, ou d’options manquantes, de nombreuses autorités publiques et associations de surveillance constatent que les bandeaux de cookies sont présents – mais ne donnent pas réellement le choix aux utilisateurs, contrairement à ce qui est attendu.
En 2024, l’Information Commissioner’s Office (ICO) du Royaume-Uni, en charge de la conformité sur le territoire, a écrit à 53 des 100 sites web les plus visités du pays pour les avertir qu’ils risquaient des sanctions si aucune modification n’était apportée aux cookies publicitaires pour se conformer à la régulation sur la protection des données. L’ICO précisait alors que cette initiative « d’appel à l’action » n’était qu’un début, la conformité sur les cookies et la possibilité pour les utilisateurs d’exprimer leurs choix quant au suivi constituant des priorités pour 2025.
Mettre l’accent sur le choix et le consentement redonne le pouvoir aux consommateurs – ce qui, à terme, bénéficie aux marketeurs, quelle que soit l’issue concernant la disparition des cookies tiers, régulièrement annoncée. Même si les grands groupes comme Google et Apple ont prévu d’abandonner les cookies tiers – une échéance encore incertaine – la régulation s’adapte pour couvrir d’autres technologies nécessitant le consentement de l’utilisateur, autrement dit, les « technologies de stockage et d’accès » qui vont bien au-delà des simples « cookies ». Toutes les technologies de suivi, selon l’ICO britannique, sont soumises à surveillance réglementaire, qu’il s’agisse de fingerprinting, de scripts, de tags, d’ornementation de liens ou de toutes futures méthodes de tracking.
Bien que le Royaume-Uni soit ici mis en avant, il ne faut pas oublier que le marketing digital a souvent une portée mondiale. Concernant le RGPD et la collecte de données personnelles, toute entreprise se livrant à des activités en Europe doit s’y conformer, où qu’elle soit basée. Il en va de même pour d’autres cadres réglementaires spécifiques à certaines régions.
En l’absence d’une loi fédérale sur les cookies, les États-Unis voient émerger de nombreux recours collectifs considérant la collecte de données par cookies – et la revente de ces données personnelles – comme illicite, en s’appuyant sur la législation relative à l’écoute électronique. Pour limiter les risques de litiges, l’utilisation des bandeaux de cookies et de la gestion du consentement progresse aux États-Unis, même sans obligation légale généralisée sur ces technologies.
Si au Royaume-Uni, l’ICO s’est surtout illustré par des avertissements, les régulateurs de l’Union européenne se sont montrés beaucoup plus interventionnistes, sanctionnant lourdement les contrevenants. Les amendes peuvent être substantielles – avec, par exemple, la DPA irlandaise infligeant à la plateforme d’emploi LinkedIn une amende de plus de 300 millions d’euros pour des violations liées à la publicité ciblée en 2024, ou encore la CNIL infligeant à l’opérateur Orange une amende de 50 millions d’euros pour diffusion de publicités dans des emails sans consentement préalable. Il ne s’agit là que de quelques exemples marquants, de nombreuses entreprises se trouvant sous le feu des projecteurs pour leurs pratiques.
Le non-respect continu des réglementations a conduit les agences de protection des données à concentrer particulièrement leurs efforts sur les cookies et le consentement, devenus des piliers de la protection des données en Europe. Plusieurs autorités ont lancé des initiatives pour lutter contre les bandeaux de cookies trompeurs, via des actions de sensibilisation du public et une supervision proactive du respect des cookies et leur contrôle dans le cadre de la nécessité d’appliquer la régulation sur la confidentialité.
Que signifient tous ces éléments pour les professionnels du marketing digital et leurs pratiques ? Voici quelques pistes concrètes pour repenser votre stratégie autour de la confidentialité, du consentement, des cookies et de la conformité.
Revoir les bandeaux de consentement et le partage de données avec des tiers. Assurez-vous que les utilisateurs bénéficient de toute la clarté nécessaire et que toutes les options leur sont proposées. De nombreuses entreprises sont pointées du doigt, voire sanctionnées, parce qu’il n’est pas aussi facile de refuser les cookies que de les accepter. Transparence et clarté sont la clé de la conformité et de l’adhésion utilisateur.
Revoir votre gestion des cookies. Les cookies ne doivent être déposés que lorsqu’un consentement valide a été recueilli. Comme souligné à maintes reprises et confirmé par des études, près des trois quarts des grands sites européens recueillent le consentement mais n’appliquent pas correctement les choix exprimés par les utilisateurs. Utiliser une solution de gestion du consentement permet de garantir que le consentement est bien enregistré et respecté, que les évolutions réglementaires sont intégrées pour rester en conformité, et que des audits peuvent être menés facilement pour s’en assurer.
Penser au consentement au-delà des cookies. Si la plupart des réglementations se sont jusqu’ici concentrées sur les cookies, les recommandations s’étendent progressivement à d’autres technologies de collecte et de suivi des données. Même si cela n’est pas encore formalisé partout dans la loi, il est probable que cela devienne un élément incontournable de la protection de la vie privée et doit donc déjà être pris en considération.
Penser le parcours utilisateur de bout en bout concernant le consentement.
Le changement réglementaire est inévitable, et les entreprises qui souhaitent respecter la confidentialité tout en personnalisant efficacement leurs stratégies digitales doivent considérer le consentement et la conformité comme des leviers proactifs pour un marketing véritablement centré sur la confidentialité. Cette approche protège contre les risques financiers et de réputation liés à la perte de confiance, tout en offrant de meilleures perspectives pour les futures initiatives marketing.